On nous prend vraiment pour des cons

Tout comme sur la plupart des articles de ce blog, et ici en particulier, la lecture des notes en fin d’article est recommandée

En cette période de fêtes de fin d’année, la saison des achats semble pointer le bout de son nez. Même pas un mois après le Black Friday, fortement décrié pour son terrible impact environnemental — ce qui n’empêche pas les consommateurs de cliquer sur le bouton jaune d’Amazon—les webmarchands nous ressortent leurs jolies promotions. Normal, Noël est une fête destinée à offrir des cadeaux, me direz-vous. Mais dans cette frénésie de promotions, certaines pratiques abusives, voire carrément malhonnêtes, pointent leur museau tout rouge.

Prenons un cas qui m’a particulièrement exaspéré il y a quelques jours : Presse Citron, le blog des technophiles. Il y a déjà plusieurs années que leur contenu éditorial ne m’inspire plus vraiment, mais je continue à le visiter par habitude—et aussi dans le but de ne pas rater une actualité technologique importante. Cependant leurs contenus promotionnels me tapent sur les nerfs.

On félicitera Presse Citron pour ce bandeau digne d’un panneau d’autoroute

La page en question : Noël sur Amazon : 10 deals jusqu’à -80% pour ce mardi matin [1]. Tout est là pour attirer le chaland : titre aguicheur, emoji flames, et surtout, surtout, le GROS -80% sur fond hypnotique #aieconfiannnssss. Néanmoins, quand on accède enfin au contenu de l’article, on ne voit pas 10 deals comme annoncé mais une liste d’une quarantaine d’articles. On était venu pour trouver des offres exclusives, spécialement sélectionnées pour les privilégiés lecteurs du blog, mais non ; on a plutôt l’impression d’atterrir sur un catalogue La Redoute des promotions Amazon.

Extrait des promotions affichées sur la page ; la liste est encore bien plus longue. En voyant les prix, vous aussi vous la sentez la douille ?

♪ Give ’em the old Razzle Dazzle ♪

On se sent un peu idiot, d’avoir mordu à l’appât à clics —que je préfère habituellement appeler du nom très fleuri de « putaclic » — destiné à améliorer leur référencement [2]. L’article en lui-même est assez long. Oui, oui. Après le listing, ils ont pondu 3 longs paragraphes pleins de banalités affligeantes. Oui, avec un cumul de 850 mots, ils ont écrit seulement 25% de moins que cet article-même que vous êtes en train de lire. Quant à la qualité, le rabais est bien supérieur à 25%. Les uniques idées qui se dégagent de ces 850 mots sont :

  • wow c’est trop pratique de faire ses courses en ligne surtout quand il y a la grève (naaaan jure), et wow Amazon propose la livraison et les retours gratuits (la découverte du siècle) ;
  • les promotions sont top et portent sur des « belles marques » ;
  • les stocks sont limités, l’heure est à l’urgence : il faut commander maintenant.

Des arguments somme toute classiques, mais qui conduisent à suspecter des intérêts commerciaux sur la boutique d’Amazon. Une grosse partie des liens d’achat (les textes verts soulignés) sont justement des liens affiliés.

Pour les non-familiers du e-commerce (et ceux qui n’ont pas cliqué sur « lien affiliés » [3]), un achat (ici, sur Amazon) via lien affilié déclenche une commission versée au site qui a affiché le lien (ici, Presse Citron). On fait des économies, et ils touchent leur part. Pratique, non ? Tout cela suggère que l’article serait en fait un publi-reportage, c’est-à-dire une publicité déguisée en article de presse. Or, la loi impose de l’indiquer clairement, ce qui n’est pas le cas ici. Serait-ce, tout comme Delevoye dans la réforme du système de retraites, un simple oubli ?

Du piège à clic au piège à cons

En faisant défiler les offres, un autre détail m’interpelle : les promotions affichées. J’ai du mal à en voir une qui semblerait correspondre à 80%. Et les commerçants qui me connaissent le savent bien : on ne badine pas avec les chiffres. Comme tout vérifier à la main prendrait du temps, ni une ni deux, je récupère l’intégralité du listing et l’exporte dans un tableur pour m’adonner à mon second passe-temps favori (après la dénonciation des pratiques abusives) : les statistiques. [4]

Mon beau Numbers, roi des tableurs / Que j’aime tes graphiques

J’ai calculé, à partir des prix avant et après remise [5], le taux de réduction ainsi que l’économie réelle, c’est-à-dire la somme en €€€ qu’on économise—car après tout, c’est bien ce qui compte. À cause des quelques articles très chers, j’ai utilisé une échelle logarithmique afin de mieux distinguer les différents prix sur les graphiques. Outre la grande dose de fun que ça m’a procuré #nerd #lesplaisirsdelavie, cela est très instructif :

  1. La réduction moyenne est de 27%. C’est honnête, mais rien d’inhabituel ou d’exceptionnel, contrairement à ce que le site veut nous faire gober.
  2. Ils proposent globalement des produits chers. Le prix (après réduction) médian est de 446€ [6]. Quand on vient pour une promesse de bénéficier de 80% de remise, c’est rarement dans le but de dépenser autant.
  3. Pour profiter d’une réduction intéressante, il faudra que la dépense suive : parmi tous les articles à au moins 33% de réduction, un seul coûte à l’origine moins de 500€.

Et le meilleur pour la fin : les taux de réduction vont de 6% à 57%. Aucune trace, donc, des « jusqu’à –80% » annoncés [7]. D’où la question cruciale : nous prendrait-on pour des cons ?


Notes

[1] Depuis la rédaction de cet article, le contenu original de la page sur Presse Citron a pu être modifié.

[2] Autre hypothèse : les trois longs paragraphes serviraient à tromper l’algorithme de référencement de Google quant à la nature de la page. En effet, ils donnent l’impression qu’il s’agit d’un vrai article, et non d’un catalogue, qui pénaliserait le référencement (mais nous, en le lisant, nous rendons compte qu’il n’a aucune substance).

[3] Incroyable, les mots soulignés dans les articles du blog sont en fait des liens qui conduisent vers des pages en rapport ! La plupart du temps, il s’agira de la définition (pour les concepts) ou de la source (pour les faits). Ces références constituent de bonnes lectures complémentaires.

[4] Et puisque j’adore les belles visualisations, ici c’était un jackpot bien plus fiable que celui d’une machine à sous.

[5] J’ai exclu des statistiques 4 articles, les seuls à coûter moins de 100€. Ils étaient de toutes façons assez anecdotiques (par exemple des piles ou un rasoir électrique… niveau accessoire high-tech on a vu mieux).

[6] Pourquoi parler ici du prix médian et non du prix moyen ? Car les quelques 3 ou 4 produits au-dessus des mille euros ont un effet démesuré sur la moyenne, ce qui la rend plus difficile à interpréter (en l’occurrence, elle est de 674€).

[7] En allant faire un tour sur la page promotions d’Amazon, je n’ai trouvé aucune mention d’offres qui iraient jusqu’à 80%…

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