Le coût du confinement #Covid19

Décider d’une politique face à l’incertitude est toujours une affaire délicate. Alors qu’on attend de nos experts et politiciens qu’ils prennent les bonnes décisions, la réalité est souvent qu’ils n’ont aucun moyen de savoir quelle décision s’avèrera la bonne. Face à la crise du Covid19, nos gouvernants sont dans une telle situation. Mais chacun de nous l’est également. Comment réagir face aux mesures de confinement ? Sont-elles justifiées ou bien exagérées ? L’idée de rapport bénéfice/risque est très répandue pour guider les choix — on prend une décision quand les bénéfices attendus surpassent les risques encourus. Mais je pense qu’un autre outil, issu de l’économie comportementale, peut apporter un nouvel éclairage : celui de coût d’opportunité. Et pour prendre un peu de vacances par rapport à la crise actuelle, revenons à nos histoires de glaces.

Quelle glace commander ?

J’ai déjà parlé ici du compromis exploration/exploitation en donnant l’exemple du duel glace vanille v.s. fraise-basilic, pour savoir s’il fallait rester sur l’option connue ou tester l’option inconnue. J’ai rapidement évoqué l’idée du coût d’opportunité. Je vais donc la détailler un peu plus. Imaginons un glacier qui propose 3 parfums différents : vanille, chocolat, pistache. Pour chacun, on peut attribuer une valeur appelée utilité, qui a plusieurs interprétations :

  1. la satisfaction qu’on pense en tirer
  2. les « points de bonheur » que ça nous procure
  3. la valeur qu’on associe à ce parfum, et donc le prix qu’on serait prêt à payer en échange
Moi, j’adore les glaces à la pistache : ça me rend très heureux

En gros, l’utilité est une quantité qu’on aime élevée — d’où le fait qu’on peut l’assimiler à une valeur monétaire. Mettons que j’attribue 2 au goût vanille, 6 au chocolat et 8 à la pistache. Dans l’hypothèse des agents rationnels, quelqu’un choisira toujours l’option la plus satisfaisante (ici on suppose que les parfums coûtent le même prix) [a]. Dans mon cas, ça suggère que lorsque ces trois parfums me sont présentés, j’ai tendance à toujours préférer la pistache. Mais que se passe-t-il si il y a une incertitude sur l’obtention de la glace ?

Quand le glacier est en rupture de stock

Supposons que je commande, comme à mon habitude, la glace pistache. Une fois moi et mes amis servis, on part de chez le glacier pour s’installer sur le bord de mer. Et là, horreur : il m’a servi une glace à la menthe, parfum que je déteste ! Comme nous étions ses derniers clients, il a fermé et je ne peux changer de parfum. Je dois faire face à la déception de la promesse non tenue, mais également aux regrets de ne pas avoir pris une autre décision : si j’avais commandé la glace chocolat (qui valait 6 au lieu de 8), il n’aurait pas commis d’erreur. C’est ici que se manifeste le concept de coût d’opportunité — qui va être abrégé en CO dans la suite.

Chaque option, hormis son utilité qu’elle nous procure, vient aussi avec son coût d’opportunité. Il est défini comme suit : c’est la valeur de la meilleure autre option. C’est-à-dire que pour déterminer le CO d’un choix, on doit prétendre qu’on ne pouvait pas faire ce choix, et voir quel autre choix on aurait fait : on aurait choisi l’autre plus haute valeur possible. Et en fait, cette formulation est équivalente à la suivante :

  • pour tout sauf la meilleure option, le CO est la valeur de la meilleure option ;
  • pour la meilleure, le CO est la valeur de la deuxième meilleure option.
En noir la valeur attribuée à la glace, en rouge son coût d’opportunité

Le CO incarne le fait qu’en faisant un choix, on renonce à tous les autres. Et donc qu’on serait très déçu si cette décision n’aboutissait pas. Ainsi, en choisissant pistache (8), je renonce à chocolat (6) et donc j’attend à être au moins « remboursé » de la valeur du chocolat (6). D’où le fait qu’on le qualifie de coût, coût qu’on paye en renonçant aux autres opportunités qui s’offraient à nous ; et coût dont on attend compensation.

L’opportunité de ne pas être confinés

Appliquons donc ces idées au Covid19 et au confinement décrété par le gouvernement. En « choisissant » de rester confiné, on renonce à toutes les autres activités qui nous plaisent tant d’habitude — passer du temps avec ses proches, faire les boutiques, se promener dans la rue etc. Ainsi, on paye le prix de ces opportunités perdues [b]. Ce prix est au niveau personnel, comme vous l’avez peut-être compris avec l’exemple des glaces, principalement psychologique (ce qui ne veut pas dire qu’il est négligeable). Il permet de mieux comprendre l’apparente insouciance d’une partie de la population. Au niveau collectif, il est sacrément plus tangible, comme le témoignent la chute d’activité économique et des indices boursiers mondiaux.

Face à ce phénomène, il est naturel que bon nombre de Français se questionnent sur la pertinence des mesures adoptées : si le confinement ne porte que peu de fruits sur la propagation du virus, son utilité sera faible. Il est fort à parier qu’elle sera en fait plus faible que le coût d’opportunité payé par une grande partie de la population — notamment celles et ceux qui ne sont pas impliqués dans le combat contre le coronavirus. Cela ne veut pas dire que le confinement est mauvais ou illégitime, pas du tout. C’est plutôt, comme à mon habitude, un avertissement concernant la suite des choses : si on ne fait pas preuve de davantage de pédagogie dans les mesures prises (notamment en expliquant leur raison, leur utilité attendue, les théories qui les motivent, leurs incertitudes, etc.), à la fin de la crise, on risque de nouer du ressentiment à l’égard du confinement et donc, par ricochet, du système de santé et des experts qui le représentent. N’oublions pas, nous les héritiers de la Révolution Française, qu’après chaque crise, la vindicte populaire ne désire qu’une chose : couper des têtes.


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Notes

[a] On pourrait se dire que suivre un tel modèle nous pousserait à toujours faire le même choix. En fait la théorie économique y a pensé, en réduisant au fil du temps la valeur des options qu’on a déjà prises. Ça se comprend intuitivement : au bout de la dixième glace pistache consécutive, la prochaine glace pistache ne va plus m’apporter autant de plaisir.

[b] Pour vérifier que vous avez bien compris comment se calcule le coût d’opportunité, ici, dans le cas du confinement, on paye le prix correspondant à la valeur de notre occupation préférée

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