Depuis leur démocratisation au cours de la dernière décennie, les imprimantes 3D ont annoncé une nouvelle révolution industrielle. Leur proposition est de ne plus fabriquer des objets par soustraction de matière (penser à un sculpteur qui érode petit à petit le marbre, ou la découpe du bois qui retire les parties non désirées), mais par addition. En effet, leur principe de fonctionnement est assez simple : une buse vient déposer du plastique liquide (et donc chaud) en partant d’une surface plane (appelée lit d’impression) et en remontant au fur et à mesure, couche par couche.

Dès les débuts, la plupart des commentateurs attendaient les avantages suivants :
- Moins de gâchis de matière, puisqu’on ne consomme que ce qui est nécessaire
- La fabrication à la demande [1], qui minimise les problèmes liés au stockage
- La possibilité de personnaliser les objets fabriqués, pour répondre à des désirs précis
Mais malgré cette belle liste d’avantages, les imprimantes 3D ont encore du mal à se faire une place dans les foyers. Pourquoi la révolution annoncée n’aura pas lieu ? — ou si elle a bien lieu, ce n’est pas ici qu’il faut la guetter [2].
Quand les avantages n’en sont pas
En fait, chacun des 3 avantages précités ne résistent pas à une confrontation à la réalité, telle qu’observée sur le terrain. Reprenons-les dans l’ordre.
→ Moins de gâchis ? En fait, pas tant que ça. En effet, l’impression 3D présente deux écueils. Le premier est le fort taux d’impression ratée pour des raisons techniques [3]. Quand on veut imprimer un objet, on finit souvent par le réimprimer de nombreuses fois (peut-être une dizaine !) jusqu’à ce qu’il soit utilisable. Par ailleurs, la plupart des formes requièrent d’imprimer des pilier de support, un peu comme des échafaudages — pour ne pas imprimer dans le vide !

→ Fabrication à la demande ? Oui certes, mais les temps d’impression se comptent en dizaines ou vingtaines d’heures même pour des objets pas très gros ! On est loin de l’imaginaire de l’imprimante de bureau à laquelle on pense. Cela suggère qu’il est souvent plus pratique de faire appel à une entreprise spécialisée (un fablab par exemple) pour faire imprimer l’objet qu’on désire. Du coup cet argument est correct, mais ne justifie pas une adoption massive par les foyers.
→ Personnalisation des objets ? C’est un argument usé jusqu’à l’os mais qui, hormis certains cas spéciaux, est selon moi surestimé. En effet, personnaliser un objet requiert de maîtriser les logiciels de modélisation 3D — expertise longue à acquérir, et donc limitée à un petit nombre de gens.

Mais là où le bât blesse, c’est que bien souvent, la personnalisation est inutile ! En effet, à part quand on imprime des objets de déco — et donc que le problème relève davantage de fibre artistique — la plupart des objets imprimés sont des gadgets. Il suffit de rechercher des listes d’impressions 3D utiles pour se rendre compte que ces objets n’ont pas du tout besoin d’être personnalisés, et qu’ils n’ont souvent pas grand chose de vraiment utile. Un porte-casque, une boîte, un support à téléphone portable, un bloc-porte… Voici l’utilité de la révolution annoncée. Perdre une dizaine d’heures à chercher, télécharger, ajuster, transférer et imprimer un objet qu’on aurait pu trouver pour moins cher à Ikea [4]. Le comble de l’inutilité mise en abyme : l’un des exemples canoniques d’impression « utile » est le support à cartes SD… cartes SD destinées à stocker les fichiers pour l’impression 3D.

Les imprimantes 3D ne sont pas des imprimantes
En fait, je pense que le malentendu provient de l’appellation d’imprimante. Une imprimante 3D n’est pas vraiment similaire à une imprimante classique. Il y a en effet d’autres différences majeures, structurelles dirais-je, qui ont été occultées lorsqu’on a nommé ces nouvelles machines « imprimantes 3D ».
- Toute la société civile est organisée autour de documents papiers (formulaires etc.), il y a donc un besoin préexistant pour l’impression de documents papier — comme les attestations de déplacement dérogatoire nous l’ont rappelé à tous
- Avant l’apparition des imprimantes, les gens avaient quand même l’habitude de produire des documents papier — mais si, l’écriture manuscrite, tout ça. Or avant l’apparition des imprimantes 3D, qui s’amusait à fabriquer des objets chez lui ? Les passionnés, uniquement.

Voici donc le futur que j’envisage, un marché de niche, un public qui pratique un hobby. Est-ce si grave que l’imprimante 3D ne soit pas destinée au grand public ? Bien au contraire ! Comprendre son marché permet de s’adapter à ses besoins. Quand on voit le nombre d’imprimantes livrées en kit, réservés aux clients motivés, on se dit que les fabriquants l’ont compris.
Finalement, j’aime comparer cette situation à celle du potager à la maison. En temps normal (c’est-à-dire en dehors du coronavirus…), et pour une majorité de gens, il est bien plus pratique de se fournir en légumes au supermarché ou chez le primeur. Mais pour quelques passionnés, cela fournit un passe-temps non seulement agréable, mais qui a aussi le bon goût d’égayer leur vie de tous les jours. Que ce goût soit littéral, comme pour le potager, ou figuré.
Notes
[1] Ceci relève du principe de gestion juste-à-temps (aussi appelé flux tendu), popularisé par Taiichi Ono chez Toyota à partir des années 1950.
[2] Elles présentent quelques intérêts indéniables pour l’industrie. On peut citer la possibilité de fabriquer des formes très difficiles à réaliser par les procédés classiques de découpe ou sculpture, ou les très faibles coûts de prototypage. Enfin, dans le milieu médical, elles permettent, lorsqu’elles sont couplées à de la capture 3D, de fabriquer des prothèses adaptées exactement à la morphologie du receveur.
[3] Parmi les problèmes qui peuvent mener à une impression inutilisable, on peut citer : la rétraction du filament, la vitesse d’extrusion, le taux de remplissage, le type de filament… Bref, beaucoup de technicité, ce qui explique que ce soit pour le moment réservé aux passionnés.
[4] Bien souvent, pour les objets simples, ils coûtent moins cher chez Ikea que si on les imprime chez soi, et ce en ne considérant que le prix du filament de plastique. Et lorsqu’on rajoute le prix de l’imprimante elle-même (plusieurs centaines d’euros), le nombre de tentatives ratées, le filament perdu pour les supports, et le coût de l’électricité, on se retrouve vite avec une facture inutilement élevée.
Partager l'article
à la derniere expo de maker j’ai vu un gars qui présentait une machine pour recycler la matière en nouvelle bobine. ce qui rends le gaspillage quasi nul. Les objets ratés ou la matière qui a servi de support sont broyés puis réchauffé et remis sous forme de filament. J’ai trouvé ça interessant.
Après le coté intéressant des imprimantes 3D n’est pas forcement pour tout le monde en effet, mais c’est devenu un truc super génial pour simplifier le processus entre une idée et la réalisation d’un prototype. Et c’est là que je vois vraiment le gain, permettre aux idées de se confronter à la réalité. Reste plus qu’à avoir des idées 🙂