L’alliée du coronavirus : la fake news

Partout dans le monde, le coronavirus continue à se propager. Plus de la moitié de l’humanité est actuellement confinée, dans le but de freiner coûte que coûte la propagation de l’épidémie. Il existe pourtant une alliée redoutable au coronavirus contre laquelle peu de mesures sont prises. Redoutable, puisque sa dangerosité est ignorée ou en tout cas sous-estimée. Cette alliée, c’est la fake news.

Une épidémie… virtuelle

Je parle d’alliée pour deux raisons simples. La première est que la fake news se comporte exactement comme un virus, par propagation de proche en proche en suivant une croissance exponentielle. Sauf qu’au lieu de se diffuser par contact physique, elle emprunte les canaux virtuels qu’on appelle plus communément réseaux sociaux. L’analogie avec le virus marche très bien :

  • on ne sait pas très bien quelle est son origine (qui est le « patient zéro ») ;
  • on la reçoit accompagnée d’un appel à la diffuser en masse ;
  • elle se propage très bien au sein des groupes très connectés entre eux (puisque la probabilité de contamination y est plus forte) ;
  • il existe des « porteurs sains » et des « décès » (voir explication plus bas).
propagation d'un virus de proche en proche
La propagation d’un virus, ou d’une fake news, se fait de proche en proche : chacun contamine quelques personnes, qui en contaminent d’autres à leur tour, etc.

Une étude très sérieuse publiée dans la prestigieuse revue Nature en 2016 (à la suite du vote du Brexit, dont certains pensent que les fake news ont influencé l’issue) a suggéré d’appliquer des modèles épidémiologiques pour mieux comprendre la propagation des fake news — et ainsi donner quelques pistes pour mieux les combattre.

La seconde raison, plus préoccupante, est que la fake news est dangereuse. Mais probablement pas pour les raisons auxquelles vous pensez.

Un danger sous-estimé

Beaucoup se focalisent sur les enjeux politiques des fake news. Manipuler les opinions des gens pour les inciter à voter pour un certain candidat, c’est mal. Mais propager de fausses informations soi-disant scientifiques en période d’épidémie, c’est pas joli joli non plus. Motivé par de réelles bonnes intentions (aider, rassurer, etc.), on fait passer des informations erronées, qui peuvent finir par nuire à autrui.

chaîne de transmission du virus
Chaînes de transmission depuis un porteur sain (en vert), jusqu’à deux personnes qui finissent par décéder suites aux complications causées par la maladie (en rouge)

Le problème est celui de la chaîne de transmission (figure ci-dessus). Reprenons l’analogie avec le virus. Comme j’ai expliqué ici, au niveau individuel, le risque de mourir du coronavirus est assez faible. Sauf que si on contribue à diffuser le virus à des personnes qui elles-mêmes le rediffusent, etc., la chaîne se construit jusqu’à ce que plus loin, quelqu’un de fragile (facteur de risque élevé) soit touché. Voici les personnes qu’il faut protéger de la contamination, les plus vulnérables. Il en est de même concernant les fakes news.

le pH du virus corona varie de 5,5 à 8,5
Exemple de désinformation qui a circulé dernièrement

On peut se dire qu’une fausse information ne pose pas un grand risque en elle-même. Qu’on la diffuse au plus grand nombre pour aider, au cas où elle soit vraie. Prenons alors un exemple concret, un message que j’ai vu passer la semaine dernière, qui prétendait que le virus a un pH inférieur à 8,5 et qu’il faut donc manger des aliments alcalins pour mieux lutter contre lui (voir illustration). Je décortique en notes de bas de page [1] les raisons pour lesquelles cette affirmation est complètement grotesque. Mais mis à part ça, quel mal y a-t-il à partager cette information, et pousser les gens à consommer plus de fruits et légumes ? Je vois au moins deux raisons :

  1. Cela participe d’une dévaluation générale des connaissances scientifiques. Cela pousse les gens à adhérer davantage aux promesses des remèdes miracles qu’à la froide rigueur scientifique (#chloroquine).
  2. Elle conduit les plus crédules à ne pas se protéger correctement du coronavirus. Au lieu d’appliquer les recommandations sanitaires, ils croient se protéger avec des méthodes qui ne marchent pas. Se faisant, ils prennent moins de précautions.

Ces deux écueils se manifestent parfaitement dans l’épidémie de rougeole — mal qui était pourtant, croyait-on, éradiqué — qui a sévit à New York en avril 2019 et que les autorités ont attribué à un manque de vaccination au sein de communautés d’antivaxs [2].

Tue 99,99% du coronavirus

Les gestes barrière

Il est clair qu’en cette période d’incertitude, on aime se rattacher à des lueurs d’espoir. Mais il est vraiment dommage de se rendre potentiellement complice de la propagation d’une fake news jusqu’à quelqu’un qui en pâtira. Comment peut-on s’en prémunir ? Appliquons des gestes barrière ! Bien souvent, il suffit de quelques connaissances pour démentir une fake news. Mais comment faire si on ne peut la vérifier soi-même ? Voici quelques conseils simples :

  1. Ne pas faire confiance à l’information. Partir du principe qu’elle est probablement erronée [3], et que si elle est trop belle pour être vraie, elle n’est probablement pas vraie [4].
  2. Demander la source à la personne qui nous l’a transmise. Était-ce une autre conversation Whatsapp ? Ou une source fiable.
  3. Se souvenir que information fiable = information vérifiable. Juste dire « untel médecin » n’est pas gage de fiabilité.
  4. (Si on a le temps) Si un détail particulier est donné, comme le nom ou la date d’une publication qui parlerait de ça, faire une recherche sur Google.
  5. Et en cas de doute même mineur : ne pas la retransmettre. La mettre à la poubelle. L’oublier. La brûler.
  6. (BONUS) Prévenir son interlocuteur que son information est bidon, et qu’il ou elle ne la transmette plus à d’autres.
La prochaine fois que tu m'envoies une fake news

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Notes

[1] Liste (non exhaustive) de raisons pour lesquelles c’est du grand n’importe quoi :

  1. L’article cité ne parlait pas du coronavirus SARS-CoV-2, et n’affirmait pas que le virus avait un certain pH (affirmation dénuée de sens, de toute façon) ;
  2. Le pH se mesure entre 0 et 14, voir une valeur supérieure à 14 est grotesque (l’avocat à 15,6 plus basique que la soude caustique ?! je regarderai mon guacamole différemment maintenant) ;
  3. le pH n’est pas une unité, donc on ne doit pas écrire « 9pH » mais par exemple « pH : 9 ». Un scientifique ne commettrait pas cette erreur, preuve que la source n’est pas scientifique ;
  4. Le citron et l’orange, que tout le monde sait acides, apparaissent comme étant alcalins (mot synonyme de basique, soit l’opposé d’acide). Leur pH doit être inférieur à 7 (par définition de l’acidité) donc ces valeurs ne peuvent être correctes. Ceci suggère que les valeurs sont inventées de toute pièce.

[2] Antivax = opposant à la vaccination, pour cause souvent religieuse ou complotiste — donc toujours idéologique. On les connaît surtout parce qu’ils refusent de faire vacciner leurs enfants.

[3] La science se distingue de la croyance par le fait que par défaut, elle ne croit en aucune affirmation. Vérifier une hypothèse, ce n’est pas comme beaucoup pensent tenter de la confirmer, mais au contraire, échouer à l’infirmer — c’est ce qu’on appelle la falsifiabilité, démarche fondatrice de la science moderne.

[4] Un bien meilleur filtre est la plausibilité scientifique. Une information qui contredit les connaissances scientifiques a très peu de chances d’être correcte. Mais évidemment, cela requiert une culture scientifique minimale.

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