Lorsque le ciel est bleu, comme en cette période estivale, il y a un phénomène qui me fascine toujours autant : on peut mieux observer les nuages avec des lunettes de soleil. Bien qu’on le remarque facilement, ceci apparaît surprenant dès qu’on y réfléchit un peu. Comme déjà expliqué sur ce blog, des lunettes de soleil agissent comme un filtre, c’est-à-dire comme un dispositif qui retire de la lumière. Alors comment peut-on voir plus avec moins ?

Comprendre comment un capteur fonctionne
Pour comprendre ce mystère, il faut d’abord comprendre comment la lumière est transformée en image — que ce soit dans nos yeux ou dans un appareil photo. Il y a différentes étapes dans la production d’une image :
- L’environnement est baigné par des rayons lumineux provenant des sources primaires (Soleil, lampes, etc.) et réfléchis par les objets.
- Ces rayons ont une intensité : lorsqu’elle est faible la couleur est sombre, lorsqu’elle est élevée, elle est très claire.
- Ils frappent des capteurs (situés sur la rétine, ou à l’intérieur de l’appareil photo).
- Les capteurs transmettent un signal au centre d’analyse, qui reconstitue l’image (le cerveau chez nous, le processeur dans l’appareil photo)
L’étape qui va nous intéresser est la numéro 3, celle qui met en jeu les capteurs. Leur rôle est de récolter de la lumière pour convertir l’intensité récoltée en un signal électrique. C’est trop abstrait ? Il y a une analogie que j’aime beaucoup, c’est celle des verres d’eau.
On boit un p’tit coup ?
La lumière se comporte comme un flux, ce sont des photons qui avancent dans une certaine direction, avec une certaine intensité. C’est en fait la même chose qu’un cours d’eau ! En fait, quand on dit qu’un objet émet des rayons lumineux, on peut s’imaginer plein de tuyaux d’arrosage (partant dans toutes les directions) qui nous bombardent d’eau en permanence. Au lieu de récolter la lumière dans nos yeux, on récolte cette eau… dans des verres !

- Cette eau a une certaine intensité (s’imaginer la différence entre un robinet et un Kärcher), analogue de l’intensité lumineuse.
- Cette eau a aussi une certaine couleur, correspondant à la couleur de l’objet qui émet la lumière.
Avec cette analogie, prendre une photo revient à présenter des verres pour récolter cette eau (cette lumière) pendant une courte durée [1]. En fin de compte, le processeur central analyse chaque verre et regarde son taux de remplissage. C’est ce taux qui va déterminer l’intensité lumineuse de la couleur perçue.


Mais lorsque le verre est plein, comme le dernier à droite, toute nouvelle eau qui se déverse est perdue [2]. On dit que le capteur sature, il ne peut plus rien recevoir d’autre. Cela peut poser problème lorsque différentes parties de l’image font saturer le capteur, alors qu’elles n’ont pas la même intensité. Un schéma abstrait va aider à comprendre ça :

Cette ligne correspond par exemple à l’intensité lumineuse d’une certaine bande de pixels de la photo. Tous les points qui sont dans la zone de saturation (au-dessus du seuil de tolérance) vont faire saturer leurs capteurs, qui vont donc renvoyer la valeur 100% (blanc). En réalité, il y avait des pics et des vallées dans ce signal, mais ces détails sont perdus.
C’est exactement ce qui se produit dans la photo du début. Le nuage est tout blanc (celui entouré en rouge), tel que perçu par un capteur qui sature, alors que si on ne saturait pas on pourrait constater des variations d’intensité. D’où l’intérêt des lunettes de soleil : abaisser l’intensité globale, et donc ramener le signal en-dessous de la zone de saturation.

Il y a toutefois un inconvénient. Les zones sombres, de faible intensité, vont être aplaties : on risque alors de perdre les détails des zones foncées. C’est tout le compromis de l’exposition en photographie : réussir à conserver le plus de détails à la fois dans les zones peu éclairées comme dans celles très éclairées. Quiconque a déjà pris une photo en plein soleil le sait [3] :
- Soit le sujet est bien et le ciel est tout blanc (on dit qu’il a brûlé) ;
- Soit le ciel est bien, et le sujet est tout sombre (en contre-jour).
Notes
[1] Cette durée est l’équivalente du temps d’exposition (parfois appelé vitesse d’obturation). Pour poursuivre l’analogie, l’ouverture correspondrait ici mettre un bouchon troué au-dessus du verre. Et finalement, la sensibilité ISO serait analogue à la taille du verre (plus il est petit, plus facilement il sature).
[2] Jusqu’à ce qu’on le vide. Et justement, un appareil photo a besoin de « vider » ce que les capteurs ont récolté pour prendre une nouvelle photo. Ceci explique que la vitesse des rafales de photo soit limitée par la vitesse d’obturation.
[3] À noter l’utilisation de plus en plus répandue de la technique dite HDR, pour High Dynamic Range, qui permet combine ensemble des photos sur-exposées (pour voir le sujet) et sous-exposées (pour voir le ciel) en une seule photo composite où tout est visible (mais le résultat a généralement un air un peu surnaturel…) Voir l’article Wikipédia.