Quand ça sature

Lorsque le ciel est bleu, comme en cette période estivale, il y a un phénomène qui me fascine toujours autant : on peut mieux observer les nuages avec des lunettes de soleil. Bien qu’on le remarque facilement, ceci apparaît surprenant dès qu’on y réfléchit un peu. Comme déjà expliqué sur ce blog, des lunettes de soleil agissent comme un filtre, c’est-à-dire comme un dispositif qui retire de la lumière. Alors comment peut-on voir plus avec moins ?

Certains détails des nuages sont discernables que si on baisse la luminosité avec des lunettes de soleil

Comprendre comment un capteur fonctionne

Pour comprendre ce mystère, il faut d’abord comprendre comment la lumière est transformée en image — que ce soit dans nos yeux ou dans un appareil photo. Il y a différentes étapes dans la production d’une image :

  1. L’environnement est baigné par des rayons lumineux provenant des sources primaires (Soleil, lampes, etc.) et réfléchis par les objets.
  2. Ces rayons ont une intensité : lorsqu’elle est faible la couleur est sombre, lorsqu’elle est élevée, elle est très claire.
  3. Ils frappent des capteurs (situés sur la rétine, ou à l’intérieur de l’appareil photo).
  4. Les capteurs transmettent un signal au centre d’analyse, qui reconstitue l’image (le cerveau chez nous, le processeur dans l’appareil photo)

L’étape qui va nous intéresser est la numéro 3, celle qui met en jeu les capteurs. Leur rôle est de récolter de la lumière pour convertir l’intensité récoltée en un signal électrique. C’est trop abstrait ? Il y a une analogie que j’aime beaucoup, c’est celle des verres d’eau.

On boit un p’tit coup ?

La lumière se comporte comme un flux, ce sont des photons qui avancent dans une certaine direction, avec une certaine intensité. C’est en fait la même chose qu’un cours d’eau ! En fait, quand on dit qu’un objet émet des rayons lumineux, on peut s’imaginer plein de tuyaux d’arrosage (partant dans toutes les directions) qui nous bombardent d’eau en permanence. Au lieu de récolter la lumière dans nos yeux, on récolte cette eau… dans des verres !

Imaginer un rayon lumineux comme un tuyau qui bombarde de l’eau : un capteur est donc comme un verre d’eau qui se remplit
  • Cette eau a une certaine intensité (s’imaginer la différence entre un robinet et un Kärcher), analogue de l’intensité lumineuse.
  • Cette eau a aussi une certaine couleur, correspondant à la couleur de l’objet qui émet la lumière.

Avec cette analogie, prendre une photo revient à présenter des verres pour récolter cette eau (cette lumière) pendant une courte durée [1]. En fin de compte, le processeur central analyse chaque verre et regarde son taux de remplissage. C’est ce taux qui va déterminer l’intensité lumineuse de la couleur perçue.

La luminosité (entre 0% et 100%) détermine la couleur perçue (ici en niveaux de gris)
Un pixel d’appareil photo, c’est comme un verre. Après être rempli d’eau, on regarde le niveau de remplissage, et cela détermine l’intensité lumineuse que ce pixel prendra dans l’image. Mais lorsque le verre est plein, comme à droite, toute nouvelle eau qui se déverse est perdue.

Mais lorsque le verre est plein, comme le dernier à droite, toute nouvelle eau qui se déverse est perdue [2]. On dit que le capteur sature, il ne peut plus rien recevoir d’autre. Cela peut poser problème lorsque différentes parties de l’image font saturer le capteur, alors qu’elles n’ont pas la même intensité. Un schéma abstrait va aider à comprendre ça :

Lorsqu’un capteur sature, des détails qu’il aurait dû voir sont effacés

Cette ligne correspond par exemple à l’intensité lumineuse d’une certaine bande de pixels de la photo. Tous les points qui sont dans la zone de saturation (au-dessus du seuil de tolérance) vont faire saturer leurs capteurs, qui vont donc renvoyer la valeur 100% (blanc). En réalité, il y avait des pics et des vallées dans ce signal, mais ces détails sont perdus.

C’est exactement ce qui se produit dans la photo du début. Le nuage est tout blanc (celui entouré en rouge), tel que perçu par un capteur qui sature, alors que si on ne saturait pas on pourrait constater des variations d’intensité. D’où l’intérêt des lunettes de soleil : abaisser l’intensité globale, et donc ramener le signal en-dessous de la zone de saturation.

Il y a toutefois un inconvénient. Les zones sombres, de faible intensité, vont être aplaties : on risque alors de perdre les détails des zones foncées. C’est tout le compromis de l’exposition en photographie : réussir à conserver le plus de détails à la fois dans les zones peu éclairées comme dans celles très éclairées. Quiconque a déjà pris une photo en plein soleil le sait [3] :

  1. Soit le sujet est bien et le ciel est tout blanc (on dit qu’il a brûlé) ;
  2. Soit le ciel est bien, et le sujet est tout sombre (en contre-jour).

Notes

[1] Cette durée est l’équivalente du temps d’exposition (parfois appelé vitesse d’obturation). Pour poursuivre l’analogie, l’ouverture correspondrait ici mettre un bouchon troué au-dessus du verre. Et finalement, la sensibilité ISO serait analogue à la taille du verre (plus il est petit, plus facilement il sature).

[2] Jusqu’à ce qu’on le vide. Et justement, un appareil photo a besoin de « vider » ce que les capteurs ont récolté pour prendre une nouvelle photo. Ceci explique que la vitesse des rafales de photo soit limitée par la vitesse d’obturation.

[3] À noter l’utilisation de plus en plus répandue de la technique dite HDR, pour High Dynamic Range, qui permet combine ensemble des photos sur-exposées (pour voir le sujet) et sous-exposées (pour voir le ciel) en une seule photo composite où tout est visible (mais le résultat a généralement un air un peu surnaturel…) Voir l’article Wikipédia.

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Le prêt-à-culturer

En début d’année, alors que le tsunami du coronavirus ne s’était pas abattu sur nous, deux expositions ont été victimes de leur succès : Tolkien à la BNF, et Leonard au Louvre. Tandis que la première a très rapidement épuisé son stock de places disponibles, la seconde a laissé entrer des hordes de visiteurs jusqu’à rendre la visite très désagréable. Ceci est peu surprenant, quand on connaît l’intérêt du grand public pour les génies en général [1], et pour l’œuvre de ces deux grands hommes en particulier. Je ne souhaite pas ici discuter de ces expositions, mais plutôt de ce que ces expériences révèlent de notre rapport aux musées. J’ai depuis quelques temps l’impression que le grand public utilise les musées comme des morceaux de culture mis en boîte, standardisés et prêts à être consommés. Bref, une forme de prêt-à-culturer.

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Une valeur petite-bourgeoise

Dans une exposition de nos jours, la moitié ou plus des visiteurs semble davantage intéressée par le potentiel instagrammable de l’expérience que par la visite elle-même. Ceci relève d’une mise en scène de soi, facilitée par les réseaux sociaux, mais qui a probablement toujours existé. Par exemple, l’apparition des cabinets de curiosités à la Renaissance signale la forte valeur sociale apportée par le bon goût culturel. Et le fait qu’ils étaient réservés à l’origine à une élite — une aristocratie — a une conséquence importante : il suffit de feindre un intérêt pour les curiosités culturelles pour se faire passer pour quelqu’un de distingué [2]. Dans ses Mythologies, Roland Barthes expliquait que la classe petite-bourgeoise se caractérise par une volonté de ressembler à la véritable bourgeoisie, en lui empruntant, sans les maîtriser, ses codes, usages, et apparences. Voilà expliqué cyniquement l’attrait des masses pour les musées : se donner des airs bourgeois.

Camarade (petit) bourgeois | Courant Anarchostalinien

Le besoin de sélectionner

Les musées, soumis à la pression financière comme n’importe quelle autre institution, ont bien compris qu’ils avaient intérêt à jouer sur ce tableau. Alors que les divertissements traditionnels périclitent au profit des nouvelles plateformes dont Netflix et YouTube sont les fers de lance, les musées profitent de leur aura culturelle pour continuer à attirer les visiteurs. Seulement, à trop démocratiser, l’expérience muséographique se transforme au profit du plus grand nombre mais au détriment des passionnés. C’est la malédiction de la popularité : lorsqu’on diffuse un produit ou service au plus grand nombre, on est souvent obligé de faire des concessions.

Dans notre société de l’hyper information, le problème n’est plus l’accès à l’information, mais l’accès à la bonne information. Chacun peut trouver à peu près n’importe quoi sur Internet. Quand il conçoit sa prochaine exposition, un musée doit donc opérer un choix, un tri, parmi toutes les informations potentiellement disponibles, afin de nous les rendre intelligibles (et intéressantes !). D’où l’importance du commissaire de l’exposition, qui conçoit une grille de lecture pour comprendre au mieux le message proposé. L’appellation anglaise de curator est d’ailleurs très intéressante (« sélectionneur de contenu ») [3], puisqu’elle exhibe le rôle qu’il joue.

Finalement, l’intérêt principal d’un musée devrait être de susciter la curiosité. En sortant d’une exposition, on devrait vouloir en apprendre bien plus, et se rediriger vers des livres, Google, Wikipédia… bref la visite d’exposition ne doit pas être conçue comme une fin, mais presque comme un commencement.

Un musée du selfie va ouvrir à Los Angeles
Quand la seule raison d’aller au musée est de prendre des selfies, le sujet n’est plus l’œuvre mais bien le visiteur

Donc la prochaine fois que vous allez au musée, ne faites pas comme les badeaux qui en sortent avec un sentiment de satiété (« ça y est, j’ai rempli mon quota de culture ! ») : dans cette métaphore gastronomique, le musée ne doit pas jouer le rôle du plat principal, mais celui des hors-d’œuvre [4].


Notes

[1] Notons que l’emballement médiatique et populaire autour de la figure du Pr Raoult relève en grande partie de cette même fascination pour les individus géniaux, c’est-à-dire qui se distinguent de la masse.

[2] Phénomène à mettre en parallèle avec les entreprises qui prétendent s’intéresser aux causes éthiques tendances (écologie, commerce équitable, discriminations etc.) dans le but premier d’augmenter leurs ventes — en gagnant en « capital sympathie » auprès des consommateurs. C’est ce qu’on appelle le signalement vertueux.

[3] Le mot curation existe bien en français, mais c’est un emprunt à l’anglais.

[4] L’article Wikipédia sur les hors-d’œuvre est très intéressant. Faisant partie du début du cérémonial du repas, ils sont constitués de mets raffinés, sélectionnés avec soin… l’analogie avec les musées est donc parfaite !

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Le futur des imprimantes 3D

Depuis leur démocratisation au cours de la dernière décennie, les imprimantes 3D ont annoncé une nouvelle révolution industrielle. Leur proposition est de ne plus fabriquer des objets par soustraction de matière (penser à un sculpteur qui érode petit à petit le marbre, ou la découpe du bois qui retire les parties non désirées), mais par addition. En effet, leur principe de fonctionnement est assez simple : une buse vient déposer du plastique liquide (et donc chaud) en partant d’une surface plane (appelée lit d’impression) et en remontant au fur et à mesure, couche par couche.

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Vidéo accélérée d’une impression 3D

Dès les débuts, la plupart des commentateurs attendaient les avantages suivants :

  1. Moins de gâchis de matière, puisqu’on ne consomme que ce qui est nécessaire
  2. La fabrication à la demande [1], qui minimise les problèmes liés au stockage
  3. La possibilité de personnaliser les objets fabriqués, pour répondre à des désirs précis

Mais malgré cette belle liste d’avantages, les imprimantes 3D ont encore du mal à se faire une place dans les foyers. Pourquoi la révolution annoncée n’aura pas lieu ? — ou si elle a bien lieu, ce n’est pas ici qu’il faut la guetter [2].

Quand les avantages n’en sont pas

En fait, chacun des 3 avantages précités ne résistent pas à une confrontation à la réalité, telle qu’observée sur le terrain. Reprenons-les dans l’ordre.

Moins de gâchis ? En fait, pas tant que ça. En effet, l’impression 3D présente deux écueils. Le premier est le fort taux d’impression ratée pour des raisons techniques [3]. Quand on veut imprimer un objet, on finit souvent par le réimprimer de nombreuses fois (peut-être une dizaine !) jusqu’à ce qu’il soit utilisable. Par ailleurs, la plupart des formes requièrent d’imprimer des pilier de support, un peu comme des échafaudages — pour ne pas imprimer dans le vide !

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Exemple d’impression avec piliers de support. Certains logiciels se vantent d’optimiser les supports pour minimiser les gâchis !

→ Fabrication à la demande ? Oui certes, mais les temps d’impression se comptent en dizaines ou vingtaines d’heures même pour des objets pas très gros ! On est loin de l’imaginaire de l’imprimante de bureau à laquelle on pense. Cela suggère qu’il est souvent plus pratique de faire appel à une entreprise spécialisée (un fablab par exemple) pour faire imprimer l’objet qu’on désire. Du coup cet argument est correct, mais ne justifie pas une adoption massive par les foyers.

→ Personnalisation des objets ? C’est un argument usé jusqu’à l’os mais qui, hormis certains cas spéciaux, est selon moi surestimé. En effet, personnaliser un objet requiert de maîtriser les logiciels de modélisation 3D — expertise longue à acquérir, et donc limitée à un petit nombre de gens.

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Fusion 360 est un logiciel de conception industrielle très prisé par les aficionados de l’impression 3D

Mais là où le bât blesse, c’est que bien souvent, la personnalisation est inutile ! En effet, à part quand on imprime des objets de déco — et donc que le problème relève davantage de fibre artistique — la plupart des objets imprimés sont des gadgets. Il suffit de rechercher des listes d’impressions 3D utiles pour se rendre compte que ces objets n’ont pas du tout besoin d’être personnalisés, et qu’ils n’ont souvent pas grand chose de vraiment utile. Un porte-casque, une boîte, un support à téléphone portable, un bloc-porte… Voici l’utilité de la révolution annoncée. Perdre une dizaine d’heures à chercher, télécharger, ajuster, transférer et imprimer un objet qu’on aurait pu trouver pour moins cher à Ikea [4]. Le comble de l’inutilité mise en abyme : l’un des exemples canoniques d’impression « utile » est le support à cartes SD… cartes SD destinées à stocker les fichiers pour l’impression 3D.

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Finalement, les imprimantes 3D à la maison servent surtout à imprimer des objets inutiles mais drôles.

Les imprimantes 3D ne sont pas des imprimantes

En fait, je pense que le malentendu provient de l’appellation d’imprimante. Une imprimante 3D n’est pas vraiment similaire à une imprimante classique. Il y a en effet d’autres différences majeures, structurelles dirais-je, qui ont été occultées lorsqu’on a nommé ces nouvelles machines « imprimantes 3D ».

  • Toute la société civile est organisée autour de documents papiers (formulaires etc.), il y a donc un besoin préexistant pour l’impression de documents papier — comme les attestations de déplacement dérogatoire nous l’ont rappelé à tous
  • Avant l’apparition des imprimantes, les gens avaient quand même l’habitude de produire des documents papier — mais si, l’écriture manuscrite, tout ça. Or avant l’apparition des imprimantes 3D, qui s’amusait à fabriquer des objets chez lui ? Les passionnés, uniquement.
Benjamin Gates : Juste avant le cinglé, qu'est-ce que tu as ? Le passionné.

Voici donc le futur que j’envisage, un marché de niche, un public qui pratique un hobby. Est-ce si grave que l’imprimante 3D ne soit pas destinée au grand public ? Bien au contraire ! Comprendre son marché permet de s’adapter à ses besoins. Quand on voit le nombre d’imprimantes livrées en kit, réservés aux clients motivés, on se dit que les fabriquants l’ont compris.

Finalement, j’aime comparer cette situation à celle du potager à la maison. En temps normal (c’est-à-dire en dehors du coronavirus…), et pour une majorité de gens, il est bien plus pratique de se fournir en légumes au supermarché ou chez le primeur. Mais pour quelques passionnés, cela fournit un passe-temps non seulement agréable, mais qui a aussi le bon goût d’égayer leur vie de tous les jours. Que ce goût soit littéral, comme pour le potager, ou figuré.


Notes

[1] Ceci relève du principe de gestion juste-à-temps (aussi appelé flux tendu), popularisé par Taiichi Ono chez Toyota à partir des années 1950.

[2] Elles présentent quelques intérêts indéniables pour l’industrie. On peut citer la possibilité de fabriquer des formes très difficiles à réaliser par les procédés classiques de découpe ou sculpture, ou les très faibles coûts de prototypage. Enfin, dans le milieu médical, elles permettent, lorsqu’elles sont couplées à de la capture 3D, de fabriquer des prothèses adaptées exactement à la morphologie du receveur.

[3] Parmi les problèmes qui peuvent mener à une impression inutilisable, on peut citer : la rétraction du filament, la vitesse d’extrusion, le taux de remplissage, le type de filament… Bref, beaucoup de technicité, ce qui explique que ce soit pour le moment réservé aux passionnés.

[4] Bien souvent, pour les objets simples, ils coûtent moins cher chez Ikea que si on les imprime chez soi, et ce en ne considérant que le prix du filament de plastique. Et lorsqu’on rajoute le prix de l’imprimante elle-même (plusieurs centaines d’euros), le nombre de tentatives ratées, le filament perdu pour les supports, et le coût de l’électricité, on se retrouve vite avec une facture inutilement élevée.

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Tout sur la fiabilité des tests de dépistage #Covid19

Alors qu’on commence à envisager un déconfinement progressif, et que chacun a un avis différent sur ses modalités, tout le monde semble au moins d’accord sur une chose : on doit tester les gens. Bien entendu, on ne sait pas si par exemple ce sera réservé, dans un premier temps, aux professionnels de santé ou aux individus à risque. Mais peu de gens s’interrogent sur la confiance à accorder aux tests de dépistage. Après tout, les « experts » qui les fabriquent/vendent aiment à rappeler qu’ils sont extrêmement fiables — qui de 90% ou de 95%.

Mais en fait, ça veut dire quoi exactement, la fiabilité d’un test ?

Cet article, un peu plus long que d’habitude, va tenter d’expliquer pourquoi la notion de fiabilité n’est pas une bonne notion, pas à pas. L’objectif est de répondre aux questions que vous vous posez sur les tests de dépistage, mais surtout à celles que vous ne vous posez même pas !

  1. Comment fait-on pour connaître la « fiabilité » d’un test ?
  2. Puisque le Test Miraculeux™ n’existe pas, y a-t-il des compromis dans la conception d’un test ?
  3. Si je suis testé, puis-je faire confiance au résultat du test ?

Et en prime, vous pourrez jouer au virologue en herbe en concevant votre propre test de dépistage ! C’est parti.

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L’alliée du coronavirus : la fake news

Partout dans le monde, le coronavirus continue à se propager. Plus de la moitié de l’humanité est actuellement confinée, dans le but de freiner coûte que coûte la propagation de l’épidémie. Il existe pourtant une alliée redoutable au coronavirus contre laquelle peu de mesures sont prises. Redoutable, puisque sa dangerosité est ignorée ou en tout cas sous-estimée. Cette alliée, c’est la fake news.

Une épidémie… virtuelle

Je parle d’alliée pour deux raisons simples. La première est que la fake news se comporte exactement comme un virus, par propagation de proche en proche en suivant une croissance exponentielle. Sauf qu’au lieu de se diffuser par contact physique, elle emprunte les canaux virtuels qu’on appelle plus communément réseaux sociaux. L’analogie avec le virus marche très bien :

  • on ne sait pas très bien quelle est son origine (qui est le « patient zéro ») ;
  • on la reçoit accompagnée d’un appel à la diffuser en masse ;
  • elle se propage très bien au sein des groupes très connectés entre eux (puisque la probabilité de contamination y est plus forte) ;
  • il existe des « porteurs sains » et des « décès » (voir explication plus bas).
propagation d'un virus de proche en proche
La propagation d’un virus, ou d’une fake news, se fait de proche en proche : chacun contamine quelques personnes, qui en contaminent d’autres à leur tour, etc.

Une étude très sérieuse publiée dans la prestigieuse revue Nature en 2016 (à la suite du vote du Brexit, dont certains pensent que les fake news ont influencé l’issue) a suggéré d’appliquer des modèles épidémiologiques pour mieux comprendre la propagation des fake news — et ainsi donner quelques pistes pour mieux les combattre.

La seconde raison, plus préoccupante, est que la fake news est dangereuse. Mais probablement pas pour les raisons auxquelles vous pensez.

Un danger sous-estimé

Beaucoup se focalisent sur les enjeux politiques des fake news. Manipuler les opinions des gens pour les inciter à voter pour un certain candidat, c’est mal. Mais propager de fausses informations soi-disant scientifiques en période d’épidémie, c’est pas joli joli non plus. Motivé par de réelles bonnes intentions (aider, rassurer, etc.), on fait passer des informations erronées, qui peuvent finir par nuire à autrui.

chaîne de transmission du virus
Chaînes de transmission depuis un porteur sain (en vert), jusqu’à deux personnes qui finissent par décéder suites aux complications causées par la maladie (en rouge)

Le problème est celui de la chaîne de transmission (figure ci-dessus). Reprenons l’analogie avec le virus. Comme j’ai expliqué ici, au niveau individuel, le risque de mourir du coronavirus est assez faible. Sauf que si on contribue à diffuser le virus à des personnes qui elles-mêmes le rediffusent, etc., la chaîne se construit jusqu’à ce que plus loin, quelqu’un de fragile (facteur de risque élevé) soit touché. Voici les personnes qu’il faut protéger de la contamination, les plus vulnérables. Il en est de même concernant les fakes news.

le pH du virus corona varie de 5,5 à 8,5
Exemple de désinformation qui a circulé dernièrement

On peut se dire qu’une fausse information ne pose pas un grand risque en elle-même. Qu’on la diffuse au plus grand nombre pour aider, au cas où elle soit vraie. Prenons alors un exemple concret, un message que j’ai vu passer la semaine dernière, qui prétendait que le virus a un pH inférieur à 8,5 et qu’il faut donc manger des aliments alcalins pour mieux lutter contre lui (voir illustration). Je décortique en notes de bas de page [1] les raisons pour lesquelles cette affirmation est complètement grotesque. Mais mis à part ça, quel mal y a-t-il à partager cette information, et pousser les gens à consommer plus de fruits et légumes ? Je vois au moins deux raisons :

  1. Cela participe d’une dévaluation générale des connaissances scientifiques. Cela pousse les gens à adhérer davantage aux promesses des remèdes miracles qu’à la froide rigueur scientifique (#chloroquine).
  2. Elle conduit les plus crédules à ne pas se protéger correctement du coronavirus. Au lieu d’appliquer les recommandations sanitaires, ils croient se protéger avec des méthodes qui ne marchent pas. Se faisant, ils prennent moins de précautions.

Ces deux écueils se manifestent parfaitement dans l’épidémie de rougeole — mal qui était pourtant, croyait-on, éradiqué — qui a sévit à New York en avril 2019 et que les autorités ont attribué à un manque de vaccination au sein de communautés d’antivaxs [2].

Tue 99,99% du coronavirus

Les gestes barrière

Il est clair qu’en cette période d’incertitude, on aime se rattacher à des lueurs d’espoir. Mais il est vraiment dommage de se rendre potentiellement complice de la propagation d’une fake news jusqu’à quelqu’un qui en pâtira. Comment peut-on s’en prémunir ? Appliquons des gestes barrière ! Bien souvent, il suffit de quelques connaissances pour démentir une fake news. Mais comment faire si on ne peut la vérifier soi-même ? Voici quelques conseils simples :

  1. Ne pas faire confiance à l’information. Partir du principe qu’elle est probablement erronée [3], et que si elle est trop belle pour être vraie, elle n’est probablement pas vraie [4].
  2. Demander la source à la personne qui nous l’a transmise. Était-ce une autre conversation Whatsapp ? Ou une source fiable.
  3. Se souvenir que information fiable = information vérifiable. Juste dire « untel médecin » n’est pas gage de fiabilité.
  4. (Si on a le temps) Si un détail particulier est donné, comme le nom ou la date d’une publication qui parlerait de ça, faire une recherche sur Google.
  5. Et en cas de doute même mineur : ne pas la retransmettre. La mettre à la poubelle. L’oublier. La brûler.
  6. (BONUS) Prévenir son interlocuteur que son information est bidon, et qu’il ou elle ne la transmette plus à d’autres.
La prochaine fois que tu m'envoies une fake news

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Notes

[1] Liste (non exhaustive) de raisons pour lesquelles c’est du grand n’importe quoi :

  1. L’article cité ne parlait pas du coronavirus SARS-CoV-2, et n’affirmait pas que le virus avait un certain pH (affirmation dénuée de sens, de toute façon) ;
  2. Le pH se mesure entre 0 et 14, voir une valeur supérieure à 14 est grotesque (l’avocat à 15,6 plus basique que la soude caustique ?! je regarderai mon guacamole différemment maintenant) ;
  3. le pH n’est pas une unité, donc on ne doit pas écrire « 9pH » mais par exemple « pH : 9 ». Un scientifique ne commettrait pas cette erreur, preuve que la source n’est pas scientifique ;
  4. Le citron et l’orange, que tout le monde sait acides, apparaissent comme étant alcalins (mot synonyme de basique, soit l’opposé d’acide). Leur pH doit être inférieur à 7 (par définition de l’acidité) donc ces valeurs ne peuvent être correctes. Ceci suggère que les valeurs sont inventées de toute pièce.

[2] Antivax = opposant à la vaccination, pour cause souvent religieuse ou complotiste — donc toujours idéologique. On les connaît surtout parce qu’ils refusent de faire vacciner leurs enfants.

[3] La science se distingue de la croyance par le fait que par défaut, elle ne croit en aucune affirmation. Vérifier une hypothèse, ce n’est pas comme beaucoup pensent tenter de la confirmer, mais au contraire, échouer à l’infirmer — c’est ce qu’on appelle la falsifiabilité, démarche fondatrice de la science moderne.

[4] Un bien meilleur filtre est la plausibilité scientifique. Une information qui contredit les connaissances scientifiques a très peu de chances d’être correcte. Mais évidemment, cela requiert une culture scientifique minimale.

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Quelle est votre chance de vous en sortir ? #Covid19

La crise que nous vivons concentre le défi majeur de notre espèce, celui de la coopération, autrement dit de l’opposition entre intérêt personnel et interêt collectif. À cause du caractère exponentiel de la dissémination du virus, chaque individu infecté aggrave involontairement la situation future — on le répète, qu’il présente des symptômes ou non. Par opposition, chaque confiné, en choisissant d’obéir au confinement et de minimiser ses déplacements, contribue à dresser une barrière contre le coronavirus. L’emballement médiatique autour des essais menant à l’élaboration d’un médicament [1] présuppose que le danger lié au coronavirus, c’est de tomber malade. Mais est-il dangereux d’être atteint de Covid19 ? Doit-on s’en inquiéter ? Quelle est votre chance de vous en sortir ? Réponse.

Quelle est la probabilité d’être malade ?

Le mot « probabilité » est un synonyme mathématique de chance. Comment peut-on connaître la probabilité d’être atteint de Covid19 ? Généralement, il y a deux façons d’estimer des probabilités :

  1. On dispose d’un modèle théorique qui nous semble pertinent. Par exemple pour un lancer de pile ou face, on trouve ça raisonnable d’attendre 50% de chance d’avoir pile et 50% pour face [2].
  2. Sinon, on peut utiliser des observations empiriques sur une population, en calculant sur un échantillon donné la proportion d’individus malades.

Ces deux points sont en quelque sorte une définition de deux mots souvent confondus, les probabilités et les statistiques. Les probabilités s’occupent de donner des modèles a priori, valables avant toute observation, tandis que les statistiques donnent des mesures a posteriori, résultant de l’expérimentation. En fait, elles ne sont pas mutuellement exclusives. Même les modèles théoriques ont besoin d’observations pour fonctionner, et notamment estimer certains paramètres inconnus — c’est ce qu’on appelle l’inférence statistique [3].

Pour déterminer la probabilité d’être malade, on peut procéder comme pour les sondages. Imaginons qu’on observe un certain nombre de cas suspects dans la population, représentés en couleur sur l’image ci-dessus. Ces individus constituent l’échantillon de test : on fait passer un dépistage à chacun [4].

Issue du dépistage : malades en rouge, individus sains en vert

Supposons que sur les 12 cas testés, on observe 4 malades. On a donc envie de dire que la probabilité d’être malade est de 4 sur 12, \frac{4}{12} = \frac{1}{3} = 33\%. Aurait-on raison ? Pas vraiment…

Le conditionnement a.k.a. comment arnaquer avec les probas

En fait, on n’a pas vraiment calculé la probabilité d’être malade. Mais si, regardez : on n’a testé que les individus qui présentent des symptômes suspects. On a donc calculé la probabilité d’être malade sachant que l’on présente une suspicion. C’est pas la même chose. C’est ce qu’on appelle une probabilité conditionnelle, et repérer un conditionnement est souvent nécessaire pour éviter de se faire piéger. En effet, le conditionnement représente une information extérieure dont on dispose et qu’on « cache » dans le calcul des probabilités. Je donne un autre exemple pour illustrer :

Supposons qu’on cherche à calculer la probabilité qu’un individu possède un sac Louis Vuitton. Et qu’on aille interroger des gens uniquement Avenue Victor Hugo, dans le 16ème.

Ici, on aurait conditionné par le fait d’habiter dans le 16ème ; on doit donc s’attendre à surestimer la probabilité qu’on tente de calculer. C’est la raison pour laquelle quand on fait de l’inférence statistique, il faut s’assurer de ne pas artificiellement biaiser l’échantillon de test. Il aurait donc fallu, pour nos 12 individus testés, les choisir aléatoirement dans une population homogène — ce qui est, je l’accorde, plus facile à dire qu’à faire.

brusicor 🔵₂ on Twitter: "Le théorème de Bayes, une base des ...
Sheldon Cooper s’adonnant aux probabilités conditionnelles et à la formule de Bayes

La probabilité de mourir du Covid19

Maintenant, imaginons qu’on est bien malade. Même si ce n’est pas vous, vous devez bien connaître quelqu’un pour qui c’est le cas. On suit bien à la lettre le confinement mais on se demande : est-ce grave ? Quel est le risque d’en mourir ? — oui, on peut poser des questions graves aussi crûment #grosseambiance [5]. Ici, on peut s’appuyer sur les observations faites un peu partout dans le monde et compilées par l’OMS. Il semblerait qu’en ce moment, environ 3 malades sur 100 décèdent du coronavirus.

Parmi tous les malades, peu finissent par mourir

Ce taux de 3% est appelé taux de létalité, et correspond à la proportion de décès parmi les malades. Pour mettre en lien avec le conditionnement probabiliste, cela correspond donc à la probabilité de décéder sachant qu’on est atteint de Covid19. La population considérée ici est celle des malades. Et comme vous avez suivi, vous comprenez que c’est un nombre différent de la probabilité de décéder du Covid19 tout court. Cette dernière correspond au nombre de décès ramenés à la population entière, et ça s’appelle le taux de mortalité. Sa valeur est très dure à calculer tant que l’épidémie n’est pas terminée, car elle dépendra du nombre total de contaminés. Dans une hypothèse pessimiste de 50% de la population contaminée, on s’attendrait à ce que le taux de mortalité soit de 1,5% (50% de 3% = 1,5%). Pour 70 millions d’habitants, ça représenterait quand même plus d’un million de morts. Les probabilités sont impitoyables.

Attention, ce chiffre de 3% est à prendre avec des pincettes [8]. C’est une estimation qui utilise le nombre de cas constatés actuellement, dans le monde, ce qui est nécessairement biaisé. En effet, c’est un peu comme si on conditionnait notre probabilité sur l’ensemble des gens dont on est sûr maintenant qu’ils sont malades ; or il y a des cas qu’on ignore. D’ailleurs, l’expérience malheureuse du Diamond Princess est intéressante car elle constitue un « système fermé » et donne un taux de létalité de 0,5%, ce qui pousse certains à affirmer que les 3% annoncés par l’OMS sont surestimés. En tout état de cause, supposons pour la suite que la vraie valeur est bien 3%, ce qui fixe les idées, et laisse espérer une réalité encore plus favorable.

À titre individuel en revanche, si on est malade du coronavirus, on doit s’attendre à environ 3% de chances d’en mourir (chiffre à moduler suivant l’âge et la condition physique [6], ou tout autre facteur de risque). Ce qui donne 97% de chances de s’en sortir, ce qui est quand même très prometteur — vous seriez prêts à miser combien d’argent pour jouer à un pile ou face avec 97% de chance de gagner ? Si vous doutez que 3% est faible, on peut visualiser ça sous différentes formes : une barre de progression

Voici où se situe 3%

ou même une couleur

Le carré du centre a bien une couleur à 3% intermédiaire entre le gris et le noir : arrivez-vous à voir la différence ?

Conclusion

Lorsqu’on vous montre un taux, une proportion, une statistique, demandez-vous toujours quel conditionnement, même implicite, a été effectué. En d’autres termes, ce que représente le dénominateur de la fraction. Bien souvent, une volonté politique mal placée peut utiliser une observation réelle (le numérateur) mais tromper dans la base de comparaison (le dénominateur).

Et quelle morale tirer pour Covid19 ? Principalement que si on est malade mais qu’on ne fait pas partie de la population à risque (ceux pour qui le taux de létalité est de l’ordre de 10% voire 15%), on n’a pas vraiment besoin de se faire du souci pour soi. Bien entendu, tout peut arriver, on peut même dire que ça va arriver, mais on ne sait pas pour qui. Voici la triste réalité des probabilités : une probabilité très faible, c’est une quasi-garantie que rien ne nous arrivera à titre individuel, mais que ça arrivera à d’autres [7]. D’où l’intérêt des mesures prises pour ralentir la dissémination du virus : protéger les gens à qui ça arrivera.


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Notes

[1] Dont la fameuse et controversée hydroxychloroquine défendue par le non moins controversé Pr Raoult. Ceux qui me connaissent savent mon avis sur la question — notamment sur le manque d’interprétabilité scientifique des travaux mis en avant par ce professeur.

[2] Si tant est que la pièce est équilibrée, sinon on peut donner plus d’importance à la face truquée. Ce modèle porte le nom de Loi de Bernoulli, et les mathématiciens disposent dans leur arsenal de tout un tas de modèles théoriques qui peuvent modéliser différents phénomènes aléatoires.

[3] Cette inférence est rendue possible, bien souvent, par une loi très connue mais dont beaucoup de gens écorchent le nom : la Loi des grands nombres (attention, rien à voir avec la théorie des nombres !) Énoncée simplement, elle explique que pour un grand nombre d’observations, les fréquences observées finissent par correspondre aux probabilités théoriques. La boucle entre probabilités et statistiques est bouclée.

[4] On suppose ici que nos tests de dépistage fonctionnent bien, ce qui n’est pas forcément une hypothèse correspondant à la réalité.

[5] Rappelons qu’hormis la mort, le coronavirus peut laisser des séquelles plus ou moins graves.

[6] Il est ici pertinent de conditionner suivant son âge. En effet, dans le groupe des gens âges de plus de 80 ans, ce taux de létalité est de 15%.

[7] Ce phénomène est très similaire au loto. À titre individuel, il est virtuellement impossible de gagner, tellement les chances sont infimes. Mais multipliées par le nombre de participants, il devient au contraire invraisemblable que personne ne gagne ; c’est-à-dire qu’il est presque certain que quelqu’un va gagner.

[8] Remerciements à Paul-Claude pour me l’avoir fait remarquer.

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Le coût du confinement #Covid19

Décider d’une politique face à l’incertitude est toujours une affaire délicate. Alors qu’on attend de nos experts et politiciens qu’ils prennent les bonnes décisions, la réalité est souvent qu’ils n’ont aucun moyen de savoir quelle décision s’avèrera la bonne. Face à la crise du Covid19, nos gouvernants sont dans une telle situation. Mais chacun de nous l’est également. Comment réagir face aux mesures de confinement ? Sont-elles justifiées ou bien exagérées ? L’idée de rapport bénéfice/risque est très répandue pour guider les choix — on prend une décision quand les bénéfices attendus surpassent les risques encourus. Mais je pense qu’un autre outil, issu de l’économie comportementale, peut apporter un nouvel éclairage : celui de coût d’opportunité. Et pour prendre un peu de vacances par rapport à la crise actuelle, revenons à nos histoires de glaces.

Quelle glace commander ?

J’ai déjà parlé ici du compromis exploration/exploitation en donnant l’exemple du duel glace vanille v.s. fraise-basilic, pour savoir s’il fallait rester sur l’option connue ou tester l’option inconnue. J’ai rapidement évoqué l’idée du coût d’opportunité. Je vais donc la détailler un peu plus. Imaginons un glacier qui propose 3 parfums différents : vanille, chocolat, pistache. Pour chacun, on peut attribuer une valeur appelée utilité, qui a plusieurs interprétations :

  1. la satisfaction qu’on pense en tirer
  2. les « points de bonheur » que ça nous procure
  3. la valeur qu’on associe à ce parfum, et donc le prix qu’on serait prêt à payer en échange
Moi, j’adore les glaces à la pistache : ça me rend très heureux

En gros, l’utilité est une quantité qu’on aime élevée — d’où le fait qu’on peut l’assimiler à une valeur monétaire. Mettons que j’attribue 2 au goût vanille, 6 au chocolat et 8 à la pistache. Dans l’hypothèse des agents rationnels, quelqu’un choisira toujours l’option la plus satisfaisante (ici on suppose que les parfums coûtent le même prix) [a]. Dans mon cas, ça suggère que lorsque ces trois parfums me sont présentés, j’ai tendance à toujours préférer la pistache. Mais que se passe-t-il si il y a une incertitude sur l’obtention de la glace ?

Quand le glacier est en rupture de stock

Supposons que je commande, comme à mon habitude, la glace pistache. Une fois moi et mes amis servis, on part de chez le glacier pour s’installer sur le bord de mer. Et là, horreur : il m’a servi une glace à la menthe, parfum que je déteste ! Comme nous étions ses derniers clients, il a fermé et je ne peux changer de parfum. Je dois faire face à la déception de la promesse non tenue, mais également aux regrets de ne pas avoir pris une autre décision : si j’avais commandé la glace chocolat (qui valait 6 au lieu de 8), il n’aurait pas commis d’erreur. C’est ici que se manifeste le concept de coût d’opportunité — qui va être abrégé en CO dans la suite.

Chaque option, hormis son utilité qu’elle nous procure, vient aussi avec son coût d’opportunité. Il est défini comme suit : c’est la valeur de la meilleure autre option. C’est-à-dire que pour déterminer le CO d’un choix, on doit prétendre qu’on ne pouvait pas faire ce choix, et voir quel autre choix on aurait fait : on aurait choisi l’autre plus haute valeur possible. Et en fait, cette formulation est équivalente à la suivante :

  • pour tout sauf la meilleure option, le CO est la valeur de la meilleure option ;
  • pour la meilleure, le CO est la valeur de la deuxième meilleure option.
En noir la valeur attribuée à la glace, en rouge son coût d’opportunité

Le CO incarne le fait qu’en faisant un choix, on renonce à tous les autres. Et donc qu’on serait très déçu si cette décision n’aboutissait pas. Ainsi, en choisissant pistache (8), je renonce à chocolat (6) et donc j’attend à être au moins « remboursé » de la valeur du chocolat (6). D’où le fait qu’on le qualifie de coût, coût qu’on paye en renonçant aux autres opportunités qui s’offraient à nous ; et coût dont on attend compensation.

L’opportunité de ne pas être confinés

Appliquons donc ces idées au Covid19 et au confinement décrété par le gouvernement. En « choisissant » de rester confiné, on renonce à toutes les autres activités qui nous plaisent tant d’habitude — passer du temps avec ses proches, faire les boutiques, se promener dans la rue etc. Ainsi, on paye le prix de ces opportunités perdues [b]. Ce prix est au niveau personnel, comme vous l’avez peut-être compris avec l’exemple des glaces, principalement psychologique (ce qui ne veut pas dire qu’il est négligeable). Il permet de mieux comprendre l’apparente insouciance d’une partie de la population. Au niveau collectif, il est sacrément plus tangible, comme le témoignent la chute d’activité économique et des indices boursiers mondiaux.

Face à ce phénomène, il est naturel que bon nombre de Français se questionnent sur la pertinence des mesures adoptées : si le confinement ne porte que peu de fruits sur la propagation du virus, son utilité sera faible. Il est fort à parier qu’elle sera en fait plus faible que le coût d’opportunité payé par une grande partie de la population — notamment celles et ceux qui ne sont pas impliqués dans le combat contre le coronavirus. Cela ne veut pas dire que le confinement est mauvais ou illégitime, pas du tout. C’est plutôt, comme à mon habitude, un avertissement concernant la suite des choses : si on ne fait pas preuve de davantage de pédagogie dans les mesures prises (notamment en expliquant leur raison, leur utilité attendue, les théories qui les motivent, leurs incertitudes, etc.), à la fin de la crise, on risque de nouer du ressentiment à l’égard du confinement et donc, par ricochet, du système de santé et des experts qui le représentent. N’oublions pas, nous les héritiers de la Révolution Française, qu’après chaque crise, la vindicte populaire ne désire qu’une chose : couper des têtes.


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Notes

[a] On pourrait se dire que suivre un tel modèle nous pousserait à toujours faire le même choix. En fait la théorie économique y a pensé, en réduisant au fil du temps la valeur des options qu’on a déjà prises. Ça se comprend intuitivement : au bout de la dixième glace pistache consécutive, la prochaine glace pistache ne va plus m’apporter autant de plaisir.

[b] Pour vérifier que vous avez bien compris comment se calcule le coût d’opportunité, ici, dans le cas du confinement, on paye le prix correspondant à la valeur de notre occupation préférée

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